Lundi 5 juillet – 11 heures
J'arrivais chez Azo sans difficultés, et me garai sur le petit parking privé de ses parents, apparemment partis travailler, vu l'heure qu'affichait le cadran digital de ma voiture toute cabossée. Précautionneusement, moi incarnant la maladresse humaine à la perfection, je sortis de la voiture, vérifiant au passage qu'il n'y ait pas de planche de skate prête à accueillir mes pieds, ce qui serait vraiment dommage. Je suis assez maladroite comme ça, il ne faudrait pas en rajouter une couche tout de même.
Azo avait remarqué mon arrivée et s'était rué dehors pour m'accueillir, ses cheveux épars et noirs courant derrière lui.
_ Hay ! me héla-t-il. T'aurais pu seulement m'appeler tu sais !
_ Salut Az'. Maman m'a prévenu pour ton coup de fil, mais je préférais sortir, me connaissant, je t'aurais jamais appelé … Comment se passent tes vacances ?
_ Mornes, rit-il. J'ai plus aucune raison de me lever maintenant. Entre plutôt, tu veux quelque chose à boire ?
_ Non merci.
Je le suivais jusque dans la maison de compagne, un genre de baraque immense où une quinzaine de gamins pouvait vivre sans être les uns sur les autres. Seulement, les gamins, ici, il n'y en a que deux : Azo et sa sœur de quatorze ans, Karo, qui devait se cacher en permanence, à cause de son prénom.
_ Salut Karo, lançai-je quand je reconnu l'adolescente assise dans le salon en train de regarder la télévision.
_ Bonjour Hay, me répondit-elle, sans pour autant daigner me jeter un regard.
Intriguée, je me tournais vers Azo, qui haussa les épaules, signe qu'il ne fallait pas que je cherche à comprendre quoi que ce soit de la part de la gamine.
_ Papa et maman sont partis au tribunal, m'expliqua-t-il. Pour faire changer le prénom de Karo en Kao, mais elle refuse. Elle est fière de son prénom.
_ Pourquoi a-t-elle choisi de s'appeler comme ça aussi, c'est du suicide ! m'interloquai-je.
_ Oui, du suicide, tu as raison. Elle refuse d'être copie conforme d'un moule, je ne sais pas d'où elle tient ça.
Az' avait l'air totalement déprimé, et cherchait plus que tout à aider sa sœur, et je voulais tout faire pour l'aider, il était tout de même mon meilleur ami.
_ Je crois que ça vient de moi, soufflai-je. Je suis vraiment navrée Az' !
_ De toi ? En quoi le prénom de Karo viendrait-il de toi ? S'étonna-t-il.
_ Parce que c'est moi qui lui ait parlé d'Alejandro ! Moi et moi seule ! Je suis la fautive ! piaillai-je.
_ Nan, mais arrête cinq minutes tu veux ? Tu connais Alejandro depuis des années, or, à tes quatorze ans, tu as décidé de garder ton prénom, il n'a rien à y voir, ton Alejandro...
_ Si, le coupai-je. Justement, il a tout à y voir. J'ai pas changé de prénom, car je lui ai demandé quel prénom m'irait le mieux, et il m'a répondu : « ne change pas de prénom Hay, je ne pourrais plus t'appeler » et puis c'est tout ! J'ai une mauvaise influence sur ta sœur !
Azo ouvrit des yeux ronds comme des billes, et me regardait comme si je venais d'un autre monde.
_ Attends, t'es en train de me dire que tu n'as pas changé de nom car un personnage subliminal te l'a demandé ?
_ Oui, c'est exactement ce que je suis en train de te dire, et Alejandro est tout sauf subliminal ! m'emportai-je. Il est réel ! Je refuse que tu ne le vois que comme un rêve !!
_ Arrête de rêver Hay ! C'est parce que tu vis dans ta bulle que tu es seule, Alejandro n'existe pas !
_ Explique moi alors ! Explique comment ça se fait que je l'ai toujours connu, qu'il me connaît par cœur depuis que je suis gamine ?
_ Explique moi pourquoi en dix huit ans, il n'a jamais vieilli, qu'il est toujours resté le même. En plus, son prénom est illégal !
_ Celui de ta sœur aussi ! Et je te promet que Alejandro est réel, je te le prouverais !
Fâchée, et surtout vexée comme un pou, je sortis de la maison, claquant la porte derrière moi. Non mais de quel droit se permettait-il de juger la véracité de mes propos, Alejandro est réel, il n'est pas juste un rêve.
Je n'ai pas l'habitude de croire à la magie, ou à d'autres trucs du même acabit, c'est à peine si je crois aux fantômes, enfin, je dis toujours qu'il vaut mieux pas les insulter, on sait jamais, on n'est pas censés les voir s'ils existaient …
Alors que j'entrais dans la voiture, mon téléphone portable sonna, indiquant qu'il s'agissait d'Azo. Alors, il peut se mettre son appel là où je pense, hors de question que je lui réponde, je suis pas une girouette moi. J'enfonçai la clé dans la coche sous le volant, allumai le contact et disparus vers la ville, oubliant un tant soit peu la manifestation.
Ce qui ne loupa pas, ce fut ma réaction en voyant la rue principale encombrée par la foule, et je m'escrimais à coup de klaxons, de bruit de moteur. Dans la voiture, je grondai plus que d'accoutumée … Ce n'est vraiment pas ma journée. Entre Karo qui veut garder son prénom, Azo qui met en doute l'existence d'Alejandro et la froideur de ce dernier, je ne savais plus ou donner de la tête . Je suis maudite !
Je pensai finir ma journée au chaud sous ma couette au moment où un homme se rua contre ma vitre, hurlant à qui voulait l'entendre que c'était totalement absurde de ne porter que des prénoms à trois lettres, qu'il voulait défendre son fils qui avait un nom bien plus long. Au loin, je vis une troupe de police s'approcher de moi … Ma journée avait si bien commencé, merde !